Maouloud 2007 : Zoom sur les messagers de la foi
Le Sénégal, à l'instar de la Oummah islamique, célèbre, aujourd'hui la naissance du Prophète Mouhammad (Psl). Au Sénégal, cette célébration rime avec le Gamou et rappelle des figures historiques de la confrérie tidiane que sont Elhadj Malick Sy, le précurseur et ses fils et petits-fils. Occasion, pour nous, de revenir sur ces figures qui ont propagé le rite au Sénégal et sur le rite lui-même.
El Hadj Oumar TALL : Le propagateur de la Tarikha au Sénégal
En Afrique noire, la tarikha tidiane fut introduite par Mouhamed El Hafiz, un maure de la tribu des Ida ou Ali, qui avait reçu lors d'une visite à Sidi Mouhamed, la mission de la diffuser au Sénégal. Il convertit sa tribu et diffusa le Wird à Nioro et dans le nord du Soudan.
A sa suite, la Tarikha tidiane devait trouver un nouvel essor sous la direction de El Hadj Omar Tall, une des plus grandes figures du 19e siècle africain. Il est né en 1797 à Alwar, près de Podor dans le Fouta Tooro. A 23 ans, Il va à la Mecque, d'où il revient avec le titre de Hadj et le mandat de Khalife des Tidianes pour le Soudan. Il s'installa à Dinguiraye grâce à l'hospitalité de l'Almamy du Fouta et y créa une Zawia. Il travaillera par la suite à la propagation de la Tidianya de Dinguiraye à Nioro dans la période de 1848 à 1854. Il éprouve des difficultés dans sa marche vers le Sénégal et retourna vers l'Est. El Hadji Omar est alors plus connu à l'extérieur que dans son propre pays où il butta contre la résistance Khadrya. Néanmoins, un de ses disciples, Maba Diakhou Bâ, suivra son exemple à travers le Saloum où il deviendra maître en 1864, avant de s'attaquer aux royaumes paiëns voisins comme le Baol, le Sine, le Walo, le Djolof, dans le dessein d'y assurer le triomphe du Coran. Le succès était réel car il fut porteur d'un message de libération qui l'engagea à substituer la justice au régime arbitraire des Buur, Brack, Damel et Teigne, dont le pouvoir relevait essentiellement des Ceddo, guerriers et libertins, constituait le groupe social le plus important. Seulement, malgré des acquis tangibles, l'idéologie dominante fut le paganisme, encore moteur de la conscience sénégalaise.
El Hadj Malick Sy, le précurseur : El Hadj Malick Sy s'est installé entre 1900 et 1902 à Tivaouane. Période pendant laquelle, le colon a cherché à imposer sa volonté. Mais celui qui est considéré comme un chevalier de l'Islam a réussi à se faire respecter et à faire passer ses idées.
Entre El Hadj Malick et le pouvoir colonial, c'est la stratégie de la coexistence pacifique. Armé de patience, de fermeté, de persévérance et d'abnégation, Maodo Malick Sy a fini par s'imposer sur l'échiquier national. Ainsi, Abdoul Aziz Sy, Ibn Serigne Moustapha Sy Djamil, citant le savant Cheikh Anta Diop, affirme que son aïeul, à travers sa tactique, a su éviter les contacts dissolvants qui n'ont pour la plupart du temps abouti qu'à une déstructuration de la société. Ce qui est d'ailleurs arrivé à presque tous les résistants qui ont adopté la méthode de la confrontation violente. Mais, sa stratégie de la résistance pacifique ne l'empêchait pas de s'en prendre violemment aux colons hérétiques et à leur action démoniaque. Il opta constamment pour l'éveil des consciences, à la barbe du pouvoir colonial. De ce point de vue, le champ de Diacksao était un cadre très propice pour délivrer un enseignement à la fois religieux, moral et même politique.
El Hadj Malick Sy était un homme de son temps, d'une extraordinaire curiosité intellectuelle. À cet égard et pour s'informer sur les différentes activités du colon, il était abonné au journal officiel qu'il se faisait lire à chaque fois. Moraliste et éveilleur de conscience, le combat du guide spirituel a été de former, plus que tout autre, des soldats de la foi et de les disperser à travers le Sénégal et les territoires anciennement colonisés pour qu'ils diffusent le savoir, élargissent les bases de la religion et de la tarikha et forment des hommes qui, au plan de la réflexion et de l'action, ont toujours servi d'exemple et de modèle. L'exemple type est celui de ses Zawiyas implantées en plein cœur du dispositif colonial, c'est-à -dire principalement à Dakar et à Saint-Louis.
En choisissant d'installer ses lieux de cultes en plein centre des deux capitales qu'a connues le Sénégal, le Saint homme de Tivaouane a cherché délibérément à déranger la quiétude du colon par les appels du muezzin. D'ailleurs, sa stratégie de quadrillage du territoire et de grand rassemblement du Gamou n'a pas manqué de susciter des inquiétudes chez le colon qui l'a convoqué pour l'interroger sur les armes qu'il détenait. A la grande surprise du gouverneur, Maodo lui brandit son chapelet. Mener en période coloniale un combat de cette dimension et le gagner ne pouvait être que le fait d'un homme exceptionnel à tous points de vue et dont l'exemple de détachement et d'effacement ajoute à la grandeur. Pour dire que les bases d'une politique de décentralisation ont été jetées par l'universaliste.
L'empreinte de Serigne Babacar Sy : Avec lui, les rapports de bon voisinage entre Tivaouane et le pouvoir se poursuivent. Serigne Ababacar Sy a compris mieux que quiconque la stratégie du blanc pour l'avoir côtoyé dans les champs de bataille et chez lui, en métro-pole. Il a été distingué à plusieurs reprises par le colon.
Mais, Cheikhal Khalifa projeta, campa et imposa l'image rassurante et convaincante d'un khalife évité, respecté et vénéré. L'homme au 'bonnet carré' légendaire avait tout pour séduire et convaincre : une culture et une connaissance des hommes remarquables, une aptitude étonnante à maîtriser les problèmes de son temps et de son environnement socio-culturel, une dimension morale et spirituelle exceptionnelle. Toutes choses qui font qu'il n'a pas hésité à opérer des choix durant les batailles épiques qui opposaient Lamine Guèye et Léopold Sédar Senghor. À l'image du Khalife général des mourides Serigne Fallou Mbacké, Khalifa Ababacar appuyait la candidature de Senghor. Entre Senghor le catholique et Lamine Guèye le musulman, l'homme au 'bonnet carré' a choisi Senghor, parce que ce dernier en bon Sénégalais, avait choisi de se fondre dans le monde paysan, contrairement à son adversaire qui lui, ne se fiait qu'aux citadins.
En somme Senghor avait réussi à séduire les leaders d'opinion et les masses rurales au moyen de son discours et de son comportement.
Serigne Abdoul Aziz Sy, le rassembleur : Après Seydi Ababacar, l'éducateur, Abdoul Aziz, le rassembleur de toutes les forces sociales a pris le flambeau car son frère Mansour Sy est parti très tôt. Philosophe, moraliste et poète, il faisait autorité de par sa sagesse et sa culture. Dans ce Sénégal pré et post-indépendance traversé par tous les courants et où tout le monde cherche à se mettre devant, 'Dabakh' a choisi d'être à l'écoute et au service des hommes.
Donc à équidistance des leaders politiques selon certaines sources proches de la famille, tout en lui était simplicité, humilité, générosité et disponibilité. En somme, il rassurait. Au plan de ses rapports avec l'autorité coloniale, le Khalife s'était défendu toute compromission. Serigne Abdoul Aziz Sy, c'est aussi le républicain qui n'hésite pas à s'impliquer en temps de crise pour aplanir les divergences entre forces sociales. Le sage de Tivaouane n'était pas un homme qui se taisait quand sa société était en danger. Face aux menaces qui guettent ses compatriotes, il a toujours demandé aux chefs religieux de tenir un langage de vérité à leurs fidèles. Au pouvoir temporel, il a toujours rappelé que rien n'allait plus dans ce pays en raison des hommes faux, corrompus et malhonnêtes exploitant honteusement les populations.
Mais, durant son khalifat, même si Tivaouane ne s'est pas clairement affiché, des membres de la famille comme Cheikh Tidiane Sy et son fils Moustapha ne se sont pas limités à soutenir les politiques. Déjà , en 1959, Sérigne Cheikh et Ibrahima Niasse dit Baye avaient créé le Parti de la solidarité Sénégalaise(Pss).C'est un parti pro- gaulliste et anti-senghorien qui sera dissout après son échec aux élections de la même année dans le cadre de la fédération du Mali.
En 1987, Cheikh Tidiane Sy créé le Mouvement de soutien pour la réélection de Diouf (Msra), l'alliance fera long feu, après avoir provoqué des rivalités avec le Mouvement de Iba Der Thiam, Abdoo nu doy. Son fils Sérigne Moustapha a soutenu Me Wade en 1993 avant de se réconcilier avec Diouf. Aujourd'hui, il préside aux destinées du Pur.
Le règne des petits-fils : Avec l'arrivée de Serigne Mansour, 'Borom Daradji' au khalifat, certains ont vite pensé que Tivaouane est socialiste. Selon des sources proches de la famille, tout est parti d'une boutade que le marabout aurait lancée en privé et qui aurait été relayée par des gens aux oreilles indiscrètes. Mais en réalité, Serigne Mansour est le marabout paysan type qui ne se soucie que de ses daaras, de la Tarikha et de ses champs. C'est sous son magistère que le Sénégal a connu l'alternance politique et l'arrivée de Wade, le talibé mouride au pouvoir. Avec l'arrivée de Wade, certains ont cru à la revanche sociale du mouride. Wade, pour discipliner le secteur informel entre les mains des mourides, avait besoin de leur prouver qu'il s'abreuve à la même source. Il n'empêche que selon certaines sources, l'actuel locataire du palais de l'avenue Léopold Sédar Senghor est resté un grand ami du Khalife général des Tidianes.
Ibrahima ANNE (Source : membres.lycos.fr)